III
COUP MONTÉ

Belinda referma derrière elle les portes du salon et s’y tint plaquée de toutes ses forces.

— Parlez moins fort, Richard !

Elle suivait son ombre des yeux tandis qu’il faisait les cent pas dans cette pièce raffinée, et l’on voyait à son sein palpitant qu’elle était en proie à une sorte de crainte.

— Les domestiques vont vous entendre !

Bolitho se retourna brusquement :

— Qu’ils aillent au diable et vous avec, après ce que vous avez osé faire !

— Que se passe-t-il, Richard ? Etes-vous souffrant ? Avez-vous bu ?

— Sur le dernier point, je vous rassure, et cela vaut mieux pour nous deux ! Sans cela, je ne sais pas de quoi je serais capable !

Il se retourna et la vit toute pâle. Il ajouta plus calmement :

— Vous le saviez depuis le début. Vous avez tout manigancé avec Lord Somervell, vous vous êtes arrangés pour la faire jeter en un lieu où l’on n’oserait même pas entasser des porcs !

Les images se bousculaient devant ses yeux : Catherine assise dans cette cellule infecte, puis, plus tard, lorsqu’il l’avait conduite à la demeure de Browne, dans Arlington Street. Elle avait essayé de le retenir. « Ne pars pas, Richard ! Cela n’en vaut pas la peine ! Nous sommes ensemble, c’est la seule chose qui compte !

— Oui, avait-il répondu, presque arrivé à la voiture qui l’attendait, mais ces menteurs avaient prévu bien autre chose ! »

Il reprit :

— Elle n’est pas plus couverte de dettes que vous, et vous le saviez lorsque vous en avez parlé à Somervell. Je prie le ciel qu’il soit aussi adroit à l’épée qu’il sait l’être avec un pistolet car, lorsque je le rencontrerai…

— Je ne vous ai jamais vu ainsi ! s’exclama-t-elle.

— Et vous ne me verrez d’ailleurs plus tout court !

— J’ai fait tout cela pour nous, pour ce que nous avons vécu et ce que nous pourrions continuer d’être.

Bolitho la fixait, le cœur battant. Il savait qu’il avait été à deux doigts de la frapper. Catherine lui avait tout raconté, à petites phrases hachées, dans la voiture qui les menait à l’hôtel. Une pluie inattendue fouettait les vitres.

Lorsqu’ils s’étaient mariés, elle avait prêté à Somervell le plus gros de sa propre fortune. Somervell craignait pour sa vie, à cause des dettes de jeu qu’il avait accumulées. Mais il avait des amis à la Cour, au nombre desquels le roi lui-même, et il avait obtenu une charge officielle qui l’avait sauvé.

Il avait délibérément investi une bonne partie de son argent à son nom à elle, avant de la laisser en subir les conséquences lorsque ses placements avaient fondu. C’est tout cela que Somervell avait expliqué à Belinda. Bolitho crut perdre la tête lorsqu’il comprit que ce plan avait été bien près de réussir. S’il était descendu dans cette demeure, si on l’avait vu à la réception de l’amiral Godschale, Catherine aurait pensé qu’ils s’étaient réconciliés. Une rupture brutale et définitive.

Somervell avait quitté le pays, c’était la seule chose dont il fût sûr. Il espérait sans doute retrouver à son retour une Catherine à moitié folle, voire, qui sait, morte. Mais Catherine était comme un oiseau de mer : impossible de la garder en cage. Il continua :

— Vous avez aussi détruit tout cela. Rappelez-vous ce que vous m’avez plus d’une fois jeté à la figure après notre mariage ! Que ce n’était pas parce que vous ressembliez à Cheney que vous aviez quoi que ce fût de commun avec elle. Mon Dieu, c’est bien la chose la plus vraie que vous ayez jamais dite.

Il regarda ailleurs et s’aperçut pour la première fois que son uniforme était trempé de pluie.

— Conservez cette maison, Belinda, quoi qu’il en soit, mais ayez parfois une petite pensée pour ceux qui se battent et qui meurent afin que vous puissiez jouir d’une chose qu’ils ne connaîtront sans doute jamais.

Elle recula, les yeux rivés sur lui tandis qu’il se ruait sur les portes pour les ouvrir. Il crut voir une ombre disparaître dans l’escalier, les domestiques auraient quelque chose à se mettre sous la dent.

— Vous en serez ruiné !

Elle étouffa un cri lorsqu’il fit un pas vers elle, comme si elle s’attendait à recevoir un coup.

— J’en prends le risque – et, ramassant sa coiffure : Un jour, je parlerai à ma fille.

Il la regarda intensément pendant de longues secondes.

— Envoyez quelqu’un prendre tout ce dont vous avez besoin à Falmouth. Même cela, vous l’avez rejeté. Profitez donc bien de votre existence ici avec vos jolis amis… Et Dieu vous garde ! lança-t-il de la porte d’entrée.

Il sortit dans la rue obscure, insensible à la pluie qui lui fouettait la figure, en vieille amie qu’elle était. Il avait besoin de marcher, de remettre de l’ordre dans ses pensées, comme lorsqu’il se formait en ligne de bataille. Il allait se faire des ennemis, mais la chose n’était pas nouvelle. Il y avait déjà ceux qui avaient tenté de le discréditer à cause de Hugh, qui avaient même essayé de l’atteindre à travers Adam.

Il songea à Catherine, où allait-elle demeurer ? Pas à Falmouth, pas tant qu’il ne pourrait l’y accompagner lui-même. Si elle le voulait bien. Verrait-elle un double sens dans ce qu’il lui dirait, à cause de ce qui venait de se passer ? Craindrait-elle d’être trahie une seconde fois ?

Il chassa immédiatement cette pensée. Elle ressemblait à la lame qu’il portait au côté, presque indestructible. Presque.

Une chose était sûre. Godschale aurait bientôt vent de ce qui s’était passé, même si personne ne prenait le risque de lui en parler ouvertement de crainte de passer pour un conspirateur. Il esquissa un faible sourire : on allait sans tarder l’expédier à Gibraltar pour y recevoir ses ordres.

Toute cette agitation ne l’empêcha pas d’apercevoir une ombre ni d’entendre un cliquetis de métal. En une seconde, il eut son vieux sabre à la main.

— Qui vive ? s’écria-t-il.

Adam avait l’air rassuré.

— Je suis venu aux nouvelles, mon oncle.

Il le regarda rengainer son sabre.

— Tout est fini ?

— Oui. Terminé.

Adam reprit sa marche avec lui et ôta sa coiffure pour laisser la pluie le rafraîchir.

— Allday m’a presque tout raconté. Apparemment, je ne peux pas vous laisser seul une seconde.

— J’ai encore du mal à y croire, lui répondit Bolitho.

— Les gens changent, mon oncle.

— Je ne le crois pas – il jeta un regard à deux lieutenants qui se dirigeaient en tanguant vers Saint-James. Les circonstances peuvent changer, pas les gens.

Adam fit adroitement dévier la conversation.

— J’ai fini par découvrir où se trouvait le commandant Keen. Il est en Cornouailles, ils sont partis là-bas régler quelques affaires relatives au défunt père de Miss Carwithen.

Bolitho hocha la tête. Il avait craint que Keen ne se fût marié sans qu’il pût participer à la cérémonie. Comme c’était étrange, qu’il attachât autant d’importance à une broutille, après tout ce qui venait de lui arriver !

— Je lui ai envoyé un billet par courrier, mon oncle. Il faut qu’il soit au courant.

Puis ils se turent, on n’entendait plus que le bruit de leurs souliers sur la chaussée. Keen savait sans doute déjà, toute la flotte devait savoir. Beaucoup en seraient choqués, mais pas d’autres, un scandale était le bienvenu : la nouvelle pouvait alimenter les ragots dans les carrés surpeuplés.

Ils atteignirent enfin la maison, où ils trouvèrent Allday en train de vider une chope de bière en compagnie de Mrs. Robbins, la gouvernante. Elle était née à Londres et, en dépit du décor huppé où elle vivait, avait une voix de marchande des quatre-saisons. Mrs. Robbins alla directement au fait.

— Elle est au lit, sir Richard. Je lui ai donné la petite chambre d’amis, lui annonça-t-elle sans ciller.

Bolitho acquiesça. Il avait parfaitement déchiffré l’allusion : il ne pouvait y avoir le moindre scandale dans cette demeure, c’était à prendre ou à laisser. Elle poursuivit :

— Je l’ai déshabillée comme un mioche et j’y ai fait prendre un bon bain. La pauvre chérie, comment qu’elle pouvait supporter ça et tout le reste ? J’ai jeté ses habits au feu. Ça grouillait là-dedans !… J’ai trouvé ça, c’était cousu dedans, dit-elle en ouvrant tout grand son poing rougeaud.

Les boucles d’oreilles qu’il lui avait offertes. La seule et unique fois où ils avaient été ensemble à Londres. Bolitho avait une boule dans la gorge.

— Je vous remercie, madame Robbins.

Étonnamment, ses traits sévères s’adoucirent un peu.

— C’est rien du tout, sir Richard. Not’jeun’maît’ Lord Oliver m’a raconté un peu comme quoi vous l’avez sorti de la mouise.

Et elle s’en fut en riant toute seule. Allday et Adam arrivèrent.

— Vous avez tout entendu ? leur demanda Bolitho.

Allday fit signe que oui.

— Vaut mieux la laisser tranquille. La vieille mère Robbins rameutera tout le monde s’il se passe quelque chose cette nuit.

Bolitho alla s’asseoir et étendit ses jambes. Il n’avait rien avalé depuis le petit déjeuner, mais l’appétit lui manquait.

Je ne suis pas passé loin, songea-t-il. Mais peut-être que la bataille n’avait même pas commencé.

 

Debout près d’une haute fenêtre, Catherine contemplait la rue. Le soleil brillait, encore que de son côté l’artère fût toujours plongée dans l’ombre. Il y avait quelques passants, on entendait à peine une vendeuse de fleurs qui hélait le chaland. Elle commença doucement :

— Ceci ne peut pas durer.

Bolitho alla s’asseoir dans un fauteuil, croisa les jambes et resta là à la regarder. Il n’arrivait toujours pas à croire ce qui lui arrivait, que c’était bien cette femme qu’il avait arrachée à l’horreur et à l’humiliation. Ou bien encore, qu’il était celui qui avait tout risqué, jusqu’à la cour martiale, en menaçant comme il l’avait fait le gouverneur des Waites. Il lui répondit :

— Nous ne pouvons rester ici. J’ai envie d’être seul avec toi, de te serrer dans mes bras, de te parler.

Elle tourna la tête, si bien que son visage se noya dans l’ombre.

— Tu t’inquiètes encore, Richard. Ce n’est pas la peine, du moins pour ce qui est de mon amour pour toi. J’ai toujours éprouvé cet amour, pourquoi cesserais-je maintenant ?

Elle fit lentement le tour du fauteuil et vint poser les mains sur ses épaules. Elle portait une robe vert uni que la redoutable Mrs. Robbins lui avait achetée la veille.

— Tu es sous protection à présent, lui répondit Bolitho. Tout ce dont tu as besoin, tout ce que je puis te donner, c’est à toi.

Ses doigts se serraient sur ses épaules ; il continua plus vite, heureux qu’elle ne pût voir son visage :

— Il faudra peut-être des mois pour récupérer ce qu’il t’a volé. Tu lui as tout donné, tu l’as sauvé.

— Mais il m’a offert en retour la sécurité, une position dans la société, je pouvais y vivre comme il me plaisait. Idiote ? je l’ai peut-être été. Mais c’était un marché entre nous. J’ai trop souvent fait des choses dont j’ai eu honte, ajouta-t-elle doucement en posant sa tête contre la sienne. Mais je n’ai jamais vendu mon corps à quiconque.

Il lui prit vivement la main :

— Cela, je le sais.

 

Une voiture passa sur le pavé à grand vacarme. La demeure, comme celles des alentours, avait des domestiques pour répandre, lorsque la nuit venait, de la paille sur la chaussée afin d’étouffer les bruits. Londres semblait ne jamais s’endormir. Ces derniers jours, Bolitho était resté éveillé, pensant à Catherine. Le code de bonnes manières des lieux les tenait séparés, comme de timides amoureux.

Bolitho se leva et se tourna vers elle.

— Je vais probablement recevoir très bientôt l’ordre de rejoindre l’escadre. Maintenant que je me suis dévoilé, ils vont probablement m’expédier hors de Londres le plus vite possible.

Souriant, il mit ses mains autour de sa taille. Il sentait son corps souple sous la robe, le désir qui s’emparait d’eux. Ses joues avaient repris des couleurs, sa chevelure qu’elle portait libre avait retrouvé son brillant.

— Il y a bien ma demeure de Falmouth…

Il se tut, bien conscient du réflexe de rejet, de la protestation muette qu’elle opposait, mais finit par ajouter :

— Je sais, Catherine adorée. Tu dois attendre jusqu’à ce que…

Elle acquiesça :

— Jusqu’à ce que tu m’emmènes là-bas comme ta femme !

Sa tentative pour rire tourna court, et elle ne parvint qu’à ajouter d’une voix rauque :

— Car c’est ce que tout le monde dira.

Ils restèrent toute une minute l’un en face de l’autre en se tenant par la main.

— Et puis je ne suis pas si adorable que cela. Si ce n’est à tes yeux, toi, chéri entre tous les hommes.

— J’ai envie de toi, lui répondit-il.

Ils s’approchèrent de la fenêtre, Bolitho se rendit compte pour la première fois qu’il n’avait pas quitté la maison depuis cette fameuse nuit.

— Si je ne peux pas t’épouser…

Elle mit son doigt sur ses lèvres.

— Il suffit. Crois-tu que j’y attache de l’importance ? J’irai là où tu voudras que j’aille, mais je t’aimerai toujours et je serai une tigresse si certains te veulent du mal.

Un domestique frappa à la porte et entra avec un petit plateau d’argent sur lequel était posé un pli fermé qui portait un sceau familier, celui de l’Amirauté. Bolitho s’en empara et commença à le lire. Il sentait ses yeux posés sur lui.

— Je dois aller voir Sir Owen Godschale demain.

— Des ordres, alors… fit-elle en hochant la tête.

— Je ne m’attends pas à autre chose – et, la prenant dans ses bras – c’est inévitable.

— Je le sais bien. Mais la seule pensée de te perdre…

Bolitho s’arrêta. Cette idée de la laisser seule… Il lui fallait faire quelque chose.

— Laisse-moi réfléchir, lui dit-elle. Nous avons encore une journée et une nuit devant nous.

Elle lui effleura les épaules puis le visage.

— Voilà la seule chose dont je me soucie.

— Avant mon départ… commença-t-il.

Elle posa derechef son doigt sur ses lèvres.

— Je sais bien ce que tu essaies d’exprimer. Mais oui, Richard chéri, je veux que tu m’aimes comme tu m’as aimée à Antigua et comme tu as continué de le faire à Londres. Un jour, je t’ai dit que tu avais besoin d’être aimé. C’est moi qui te donnerai cet amour.

Mrs. Robbins passa la tête.

— ’Vous d’mand’pardon, sir Richard…

On avait l’impression qu’elle essayait d’estimer la distance qui les séparait.

— … mais y a vot’neveu qu’est là – puis, s’adoucissant un peu : Vous êtes magnifique, milady !

Catherine ébaucha un sourire.

— Madame Robbins, je vous en prie. Ne me donnez pas ce titre – et, se tournant vers Bolitho : Pour l’instant, je n’en ai pas l’usage.

Mrs. Robbins – la « mamma », comme disait Allday – s’engagea précautionneusement dans l’escalier et surprit Adam en train de rectifier sa sombre chevelure rebelle devant la glace.

C’était une vraie partie de cartes, se dit-elle. Mon Dieu, tout le monde en parlait dans l’office. La pauvre Elsie, la bonne qui officiait dans les étages, en avait assez vu, son tambour chéri qui s’était enfui aux Antilles avec sa négrillonne. Pas ce à quoi on aurait pu s’attendre de la part d’un homme de qualité. Pourtant, le vieux Lord Browne, lui, en voilà un qui était un homme de qualité, avant de rendre l’âme. Puis l’expression de Bolitho lorsqu’elle lui avait donné les boucles d’oreilles qu’elle avait sauvées du naufrage, dans ce tas de vêtements dégoûtants. Il y avait un tas de choses qui y étaient attachées, bien plus que n’en avaient compris ces gens. Elle fit un signe de tête à Adam :

— Il descendra dans un instant, monsieur.

Adam lui sourit. C’est étrange, songeait-il. Il avait toujours préféré son oncle à quiconque. Mais, jusqu’à ce jour, il ne l’avait jamais envié.

 

L’amiral Sir Owen Godschale reçut immédiatement Bolitho, lequel eut le sentiment qu’il avait interrompu un entretien en cours. Peut-être pour se débarrasser le plus rapidement possible de leur entrevue.

— Je viens de recevoir des renseignements : la flotte française a échappé aux vaisseaux de Lord Nelson. Je doute qu’il puisse encore les contraindre au combat. Il est peu probable que Villeneuve ait envie de se battre tant qu’il n’a pas réuni ses forces à celles des Espagnols.

Bolitho examinait la grande carte de l’amiral. Ainsi donc, les Français tenaient toujours la mer, mais ils ne pourraient le faire trop longtemps. Nelson avait sans doute pensé que les intentions de l’ennemi étaient d’attaquer les possessions britanniques et leurs bases aux Antilles. A moins qu’il ne s’agît seulement d’une grosse démonstration de force ? Les Français possédaient de beaux bâtiments, mais l’efficacité du blocus les avait confinés dans leurs ports. Villeneuve avait trop d’expérience pour attaquer dans la Manche, afin de frayer un chemin aux armées de Napoléon, avec des vaisseaux et des équipages dont la compétence et la valeur avaient été minées par l’inactivité.

Godschale reprit brusquement :

— Je veux donc que vous hissiez votre marque et rejoigniez l’escadre de Malte.

— Mais n’avais-je pas compris que le contre-amiral Herrick allait être relevé ?

Godschale se tourna vers la carte.

— Nous devons placer nos bâtiments là où ils seront le plus utiles. J’ai fait partir aujourd’hui par le brick courrier des ordres pour Herrick – et, le regardant d’un air neutre : Vous le connaissez, bien sûr.

— Très bien.

— La réception que j’avais prévu de donner sera donc remise à plus tard, sir Richard. Nous attendrons que les choses soient redevenues plus calmes, n’est-ce pas ?

Leurs regards se croisèrent.

— M’auriez-vous invité seul, sir Owen ?

Il restait calme, mais on le sentait tendu.

— Dans les circonstances présentes, je crois que cela eût été préférable, amiral.

Bolitho se mit à sourire.

— Alors, compte tenu de ces circonstances, je suis heureux que la chose soit remise.

— Je n’admets pas votre attitude, amiral !

Mais Bolitho lui tint tête.

— Un jour, sir Owen, vous pourriez avoir à vous rappeler ce misérable coup monté. Lors de notre dernière rencontre, vous m’avez dit que Nelson n’était pas à l’abri d’une erreur. Mais vous non plus, amiral ! Et si vous tombez en disgrâce, vous découvrirez qui sont vos vrais amis !

Il quitta la pièce et entendit l’amiral claquer violemment la porte derrière lui.

Sa colère ne s’était toujours pas calmée lorsqu’il atteignit sa demeure. Du moins jusqu’à ce qu’il vît Catherine qui conversait avec Adam puis entendît une voix familière dans le cabinet à côté.

Allday arriva par le corridor qui menait aux cuisines, mastiquant on ne savait quoi à grands coups de mâchoire. Tout le monde le regardait.

— Je dois rejoindre mon escadre dès que possible.

Une ombre balaya le passage : le capitaine de vaisseau Keen émergeait à son tour. Bolitho applaudit des deux mains :

— Valentine ! Mais c’est un miracle !

Puis il aperçut Zénoria derrière son ami, telle exactement que dans son souvenir. Tous deux étaient encore sales d’avoir voyagé. Keen lui expliqua :

— Nous avons passé deux jours sur les routes. Nous rentrions déjà de Cornouailles et, par un heureux coup du destin, nous avons croisé le courrier dans une petite auberge où il changeait de monture.

Le destin. Ce mot ! Bolitho répondit :

— Je ne comprends pas.

Il vit le visage de la jeune fille qui, s’approchant de lui, le serra contre elle tandis qu’il l’embrassait sur la joue. Il se passait quelque chose.

— J’ai été désigné comme votre capitaine de pavillon, sir Richard, annonça Keen – il jeta à Zénoria un regard plein de désespoir. On me l’a demandé, cela me semble naturel.

Et, tendant une lettre à Bolitho :

— Le capitaine de vaisseau Haven, expliqua-t-il, a été placé en état d’arrestation. Le lendemain du jour où vous avez embarqué à bord de La Luciole il s’en est pris à un autre officier et a tenté de le tuer. Le commodore de Gibraltar attend vos ordres, conclut-il en fixant Bolitho.

Celui-ci alla s’asseoir, tandis que Catherine s’approchait et lui posait la main sur l’épaule. Il leva les yeux vers elle. Ma tigresse. Ce malheureux, cet infortuné avait fini par céder à la tension. Bolitho savait que l’officier en question était sans doute Parris. Mais au moins, il était encore vivant.

Keen les regardait tour à tour.

— J’allais vous faire une proposition : madame pourrait partager ma maison avec Zénoria et ma sœur, jusqu’à notre retour.

Bolitho serra la main de Catherine. A voir comment la jeune Cornouaillaise la regardait, cela semblait la solution rêvée. Dieu seul savait tout ce qu’elles avaient en commun.

Keen avait sauvé Zénoria à bord d’un transport de déportés, l’Oronte. On l’avait injustement accusée puis condamnée pour tentative de meurtre. En fait, elle avait seulement tenté de résister à une tentative de viol. Verdict : déportation dans une colonie pénitentiaire de Nouvelle-Galles du Sud. Et elle était innocente. Keen était monté à bord du transport et l’avait délivrée alors que l’on commençait à la fouetter sur ordre du capitaine. Elle avait reçu un coup en travers du dos avant que Keen réussît à mettre fin au supplice. Bolitho savait bien qu’elle en garderait toute sa vie la cicatrice. Penser que Catherine aurait pu subir le même sort lui donnait des frissons dans l’échine, mais pour d’autres raisons. La jalousie et l’appât du gain sont des ennemis sans pitié.

— Qu’en penses-tu, Kate ?

Les autres disparaissaient dans une espèce de brouillard, comme si son œil blessé ne pouvait se fixer que sur elle seule.

— Cela te convient-il ?

Elle ne répondit rien, se contentant de hocher doucement la tête. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas deviner la chaleur qu’ils partageaient, leur intime communion.

— La chose est donc entendue, acquiesça Bolitho – et, se tournant vers eux : Nous sommes de nouveau réunis.

Et l’on sentait fort bien que ce nous les englobait tous.

 

Le lieutenant de vaisseau Vicary Parris était assis dans sa chambre et ne faisait guère attention à tous les bruits du bâtiment. Les sabords étaient béants, et sa chambre paraissait presque fraîche en comparaison du pont supérieur.

Le cinquième lieutenant, le plus jeune officier du bord, se tenait debout près de la petite table et regardait le registre des punitions grand ouvert devant lui.

Parris lui posa une fois encore la question :

— Bon, croyez-vous vraiment que ce soit judicieux, monsieur Priddie ?

C’est à vous glacer les sangs, songeait Parris. A peine l’amiral avait-il quitté le Rocher à bord de La Luciole que le capitaine de vaisseau Haven était devenu fou. A la mer, lorsqu’il fallait se battre contre les éléments et conduire le bâtiment, les hommes étaient trop occupés ou trop abattus pour s’insurger contre les exigences de la discipline. Mais l’Hypérion était maintenant au port, le soleil tapait dur, les travaux du bord et les corvées de vivres rendaient la vie plus facile, moins exigeante. Les hommes avaient le temps de regarder ce qui se passait et de nourrir leur rancœur.

— Je… je n’en suis pas sûr.

Parris jura en silence.

— Vous vouliez devenir officier, mais maintenant que vous avez été admis au carré, vous semblez prêt à accepter n’importe quel prétexte pour punir un homme du fouet, sans vous en soucier davantage, sans accorder la moindre circonstance atténuante ?

Priddie releva la tête :

— Le commandant a insisté…

— Oui, sans doute.

Parris se laissa aller en arrière et essaya de compter les secondes pour se calmer un peu. Dans d’autres circonstances, il aurait demandé, il aurait même exigé d’être affecté à bord d’un autre bâtiment et au diable les conséquences. Mais il avait perdu son dernier commandement ; il voulait, non, il avait besoin de toutes les recommandations possibles susceptibles d’ouvrir la voie à une promotion.

Il avait servi sous les ordres d’un certain nombre de commandants. Certains étaient courageux, certains pusillanimes. D’autres conduisaient leur bâtiment en suivant à la lettre les ordonnances royales sur le service à bord et ne couraient jamais le risque d’éveiller l’attention de l’amiral. Il avait même connu une fois le pire commandant qu’on pût imaginer, un pervers qui punissait les hommes pour le plaisir, qui regardait chaque coup de fouet jusqu’à ce que le dos de la victime fût transformé en chair à pâté.

Il n’y avait rien à faire avec Haven. Il le haïssait, tout simplement.

Il usait des moyens que lui procurait son autorité sans limites pour punir les hommes sans tenir compte de la moindre considération, tout simplement pour provoquer son second.

Il posa le doigt sur le registre.

— Regardez cet homme. Deux douzaines de coups de fouet pour une bagarre. Ils étaient en train de s’amuser pendant le quart du soir, rien de plus. Vous étiez là ?

Priddie se mit à rougir.

— Le commandant a fait remarquer que la discipline sur le pont se relâchait. Que la terre nous observait. Qu’il ne tolérerait plus la moindre faiblesse.

Parris dut se retenir de ne pas répliquer vertement. Priddie n’avait pas encore oublié ce qu’était le sort d’un aspirant. En tant que second, il avait le devoir de faire quelque chose. Il ne pouvait en référer à quiconque ; les autres commandants considéreraient une telle démarche comme une trahison, une conduite qui risquait de se retourner contre leur propre autorité s’ils l’encourageaient. Qu’il eût tort ou raison, un commandant était une espèce de dieu. Un seul homme aurait eu le pouvoir d’y mettre le holà, et il était en route pour l’Angleterre, avec suffisamment de soucis en tête s’il ne cédait pas aux menaces. Et il était peu probable que Bolitho pliât le genou devant quelqu’un tant qu’il jugeait qu’il avait bien agi.

Parris avait songé au chirurgien du bord, George Minchin. Mais de précédentes tentatives avaient été décevantes. Minchin était un poivrot, comme beaucoup de chirurgiens de marine. Des bouchers, entre les mains desquels les hommes mouraient plus souvent que des blessures qui les avaient conduits auprès d’eux.

L’Hypérion devait se voir affecter un chirurgien expérimenté, l’un des praticiens que l’on avait envoyés en mission dans différentes escadres pour observer les choses et rendre compte de ce qu’ils avaient constaté. Mais ce serait trop tard, c’était maintenant qu’il aurait eu besoin de lui.

— Je m’en occupe, fit enfin Parris.

Les yeux de l’enseigne s’éclairèrent, il était soulagé d’être délivré de cette affaire. Mais Parris ajouta, irrité :

— Monsieur Priddie, vous n’obtiendrez jamais de commandement si vous n’assumez pas vos responsabilités.

Il monta sur la dunette et s’arrêta pour observer les marins qui hissaient dans la mâture un hunier d’artimon tout neuf. On respirait une forte odeur de goudron, on entendait le fracas des marteaux et des herminettes. Horrocks, le charpentier, et ses aides finissaient de construire un canot avec les matériaux qu’ils avaient sous la main. Voilà des gens qui travaillent bien, se dit-il. Ils auraient même été heureux, sans ce nuage pesant qui assombrissait l’arrière.

Il poussa un soupir, puis se dirigea vers la poupe et attendit que le fusilier de faction l’eût annoncé.

Le capitaine de vaisseau Haven était assis à son bureau, quelques papiers à portée de la main. Sa vareuse pendait au dossier de son fauteuil et il essayait de s’éventer à l’aide de son mouchoir.

— Eh bien, monsieur Parris ? Je suis fort occupé.

Parris ne tint pas compte de ce renvoi déguisé. Il remarqua seulement que les plumes posées sur le bureau étaient propres et sèches. Haven n’avait pas écrit la moindre ligne. Il avait préparé une petite mise en scène, il s’attendait à sa visite alors qu’il essayait de lui faire croire le contraire. Parris commença prudemment :

— Ces deux hommes à punir, commandant.

— Oh, lesquels ? Je commençais à croire que les hommes n’en font qu’à leur tête.

— Trotter et Dixon, commandant. Ils n’ont jamais été impliqués dans quoi que ce soit jusqu’à présent. Si le cinquième lieutenant m’en avait parlé avant…

Il ne put en dire plus.

— Mais monsieur, vous n’étiez pas à bord, aboya Haven. Non, vous étiez ailleurs, il me semble ?

— Sur votre ordre, commandant.

— Ne soyez pas impertinent !

Haven pivota dans son siège. Cela rappelait à Parris un pêcheur, au moment où il sent une touche sur son hameçon. Haven poursuivit :

— Ils se sont comportés d’une manière ignoble et indécente ! Je les ai vus. Et comme d’habitude, c’est moi qui suis intervenu pour couper court à cette échauffourée !

— Mais, commandant, deux douzaines de coups de fouet ! Je pourrais les mettre de corvée pendant une semaine. La discipline serait sauve et je crois que Mr. Priddie pourrait en tirer la leçon.

— Je vois, vous blâmez ce jeune officier, maintenant.

Et il se mit à sourire. Parris sentait l’énervement s’emparer de lui.

— Ces hommes seront fouettés, et Mr. Priddie en portera la responsabilité. Mais allez au diable, monsieur ! Croyez-vous que je me soucie un instant de ce qu’ils peuvent bien penser ? C’est moi qui commande ici, ils se plieront à mes volontés, suis-je bien clair ?

Il s’était mis à hurler.

— Parfaitement clair, commandant, répondit Parris.

— Je suis heureux de l’apprendre.

Haven le regardait fixement, les yeux plissés à cause du soleil.

— La part que vous avez prise dans l’attaque sera portée à la connaissance de l’Amirauté, je n’en doute pas. Mais vous pouvez bien vous pendre aux basques de notre amiral aussi longtemps que vous voudrez. Je veillerai à ce que votre manque de loyauté et votre fichue arrogance soient notés, pour le jour où l’on pensera à vous pour une promotion !

Parris avait l’impression que la chambre tanguait :

— Vous m’avez traité d’officier déloyal, commandant ?

— Oui, hurla Haven, espèce de cochon, de débauché, foutre oui que je l’ai fait !

Parris ne pouvait détacher ses yeux de lui. C’était pire que tout ce qui s’était déjà passé. Il aperçut un rai de soleil au bas de la porte, obscurcie par endroits par des pieds qu’on devinait. Il y avait des hommes de l’autre côté, qui écoutaient. Mon Dieu, songea-t-il, désespéré, comment pourrons-nous nous en tirer si nous devons combattre ?

— Je crois que nous avons tous deux dépassé notre pensée, commandant.

— Ne vous avisez pas de me réprimander, nom de Dieu ! J’imagine que, quand vous êtes allongé dans votre couchette, vous songez à moi, à l’arrière, ricanant du sale tour que vous m’avez joué… Eh bien, mais répondez donc, espèce de chien !

Parris savait qu’il devrait appeler à la rescousse un autre officier, il savait aussi qu’il risquait d’étendre Haven d’une seconde à l’autre. Mais quelque chose, comme un présage dans le sommeil, semblait s’opposer à sa colère et à sa rancœur. Il veut que je le frappe. Il veut faire de moi sa prochaine victime.

Haven se laissa aller dans son fauteuil comme si sa furie et sa rage s’étaient calmées. Mais, lorsqu’il releva les yeux, Parris vit qu’ils étaient toujours aussi brillants, remplis de haine.

D’un ton presque badin, Haven reprit :

— Vous croyiez vraiment que je ne finirais pas par découvrir la vérité ? Vous m’avez cru bête à ce point ?

Parris retenait sa respiration, son cœur battait à tout rompre. Il avait cru que rien ne pourrait plus le désarçonner. Haven continuait :

— Je connais vos petites manœuvres, cette passion que vous avez pour vous-même. Oh oui, il m’arrive d’être malin et de comprendre des choses.

Et il montra du doigt le portrait de sa femme, sans quitter Parris des yeux. Puis il ajouta d’une voix rauque :

— La culpabilité se voit sur votre visage comme le nez au milieu de la figure.

Parris crut d’abord qu’il avait mal entendu.

— J’ai rencontré madame, mais…

— Et vous osez parler d’elle en ma présence – et, bondissant sur ses pieds : Vous, avec vos paroles mielleuses et les façons qui vont avec, exactement le genre de choses qui peut éveiller son intérêt !

— Commandant ! Je vous en prie, n’ajoutez pas un mot de plus. Nous pourrions tous deux le regretter.

Mais Haven n’écoutait pas, apparemment.

— Vous l’avez prise lorsque j’étais occupé à bord de ce bâtiment ! Je me suis tué à essayer de faire un équipage de ce foutu ramassis. Et puis on a hissé la marque d’un homme qui vous ressemble fort, qui croit que nous pouvons choisir une femme selon notre bon plaisir !

— Je ne veux pas en entendre davantage, commandant. De toute façon, rien de tout cela n’est vrai. J’ai vu… – il hésita avant de finir par laisser tomber : Je ne l’ai pas touchée, commandant. Je le jure, au nom de Dieu !

— Après tout ce que je lui ai donné, fit Haven d’une voix à peine audible.

— Vous vous trompez, commandant.

Parris se tourna vers la porte. Quelqu’un allait venir, sûrement. Tout l’arrière avait dû entendre les clameurs de Haven.

— C’est votre enfant, cria-t-il brusquement, espèce de salaud !

Parris serra les poings. C’était donc cela.

— Je vais me retirer, commandant. Je ne peux plus entendre vos insultes et vos insinuations. Et, pour ce qui est de votre femme, tout ce que je puis dire, c’est que je suis désolé pour elle.

Il faisait demi-tour pour se retirer lorsque Haven cria :

— Vous ne bougerez pas d’ici, nom de Dieu !

Dans cet espace confiné, le coup de pistolet fit un bruit assourdissant. Il eut l’impression de recevoir un coup de barre de fer. Puis il sentit la douleur, l’humidité du sang tiède et s’écroula sur le pont.

Il sombra dans la nuit. C’était comme de la fumée, ou du brouillard ; il ne voyait plus qu’un tout petit espace dans lequel le commandant essayait de recharger son arme.

Avant que la douleur le fît s’évanouir, son cerveau à l’agonie enregistra pourtant le rire de Haven. Il riait comme s’il ne pouvait plus jamais s’arrêter.

 

A l'honneur ce jour-là
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